Lettres du général de Saint Arnaud

Voici des extraits des lettres écrites par le Maréchal de Saint Arnaud au sujet de la campagne de kabylie: combats, massacres, incendies et pillages; un carnage dans les tribus.

On relèvera en particulier cette phrase tirée d'une de ses lettres:

"Voici une campagne comme je n'en ai point encore faite en Afrique, malgré mes quinze années de vie militante"

Je joins ici un lien vers la fiche Wikipédia du général de Saint Arnaud, qui fournit un aperçu sur ce personnage au sujet duquel Victor Hugo a dit 'qu'il avait les états de service d'un chacal'.

Constantine, lettre du 12 et 22 février 1851

"

Cher frère, tu crois à un répit pour ma rentrée en France. J'en serai bien satisfait, si je puis faire mon expédition en Kabylie; ma position sera faite mon expédition de Kabylie; ma position sera faite au retour, et je pourrai voir, à Paris, se dessiner mon but final: le gouvernement de l'Algérie.

...

Le gouvernement donne la préférence à l'expédition de la grande Kabylie; je regarde l'expédition de la petite Kabylie comme plus opportune et plus facile. Qui aura raison?

"

 

Constantine, lettre à son frère du 21 mars 1851

"

Cher frère, le courrier de France nous apporte une nouvelle qui n'est que justice, la promotion du général Exelmans au maréchalat. Et moi, je fais l'expédition de Kabylie. Mes idées sont adoptées, on me les tronque un peu, mais je me contente de la part qu'on me laisse.

...

Je fais venir à Milah Bou-Akkas (ndlr: Bou Akkas Ben Achour) et les frères Ben-Azzedin. Il faut que je fasse causer ces chefs. Mon intention est d'entrer à Djidjelli le 13 Mai. C'est le 13 Mai 1839 que j'y entrais le premier à la tête de  ma compagnie de voltigeurs.

...

"

 

Constantine, Lettre à son frère du 12 avril 1851

"

...

J'ai une colonne superbe, forte de douze bataillons qui forment deux brigades, sous les ordres des généraux Luzy et Bosquet. Je suis prêt, à tout évènement, à me porter sur le Djurdjura par Sétif ou sur Djidjelli; mais je crois que c'est à Djidjelli que j'irai. Dans tous ces cas, je ferai une belle et utile expédition. Peut-être en ferai-je deux?

Blangini a porté son quartier général à Aumale avec dix bataillons; le général Camou vient à Sétif avec quatre autres, pendant que Bosquet m'accompagne.

...

"

 

Constantine, lettre à son frère du 22 avril 1851

"

...

tu connais les gouverneur avec lequel je suis dans les meilleurs termes. Il m'accorde tout ce que j'ai demandé; ses instructions pour la campagne s'accordent avec mes projets. Ma colonne sera réunie à Milah le 8, j'entrerai dans la montagne le 10, le 12 et le13 j'aurai déjà frappé de grands coups, et le 16, je veux être à Djidjelli.

"

 

Constantine, lettre à son frère du 2 mai 1851

"

La guerre que j'entreprends sera sérieuse, frère; de Milah à Djidjelli, de Djidjelli à Collo, j'aurai devant moi dix mille fusils qui défendent un pays difficile. Je n'ai que sept mille baïonettes et de jeunes soldats. Ces conditions n'altérent pas ma confiance dans le succès. Je fraperai des coups si vigoureux et si rapides, que les Kabyles auront bientôt perdu leur audace.

...

"

 

Au bivouac de l'Oued L...., les 9 et 10 mai 1851, lettre à Madame de Saint Arnaud

"

Chère amie, je ne désirais que deux choses: tes lettres et le beau temps. Je les ai toutes les deux. Après-demain, je battrai les kabyles, non dans le brouillard, mais au grand soleil...Nous sommes dans un délicieux bivouac.

...

Bou-Akkas et les frères Ben Azzedin sont à mon camp et pleins de confiance comme tout le monde. Les affaires s'embrouillent fort du côté de Sétif et de Bougie, et il est temps que je frappe des coups décisifs pour arriver à Djidjelli et rétablir les affaires. Les Kabyles m'attendent au col des Beni-Askar. J'ai été visiter les positions qu'ils défendent. Elles sont superbes à attaquer et à enlever, et demain, à dix heures du matin, ce sera une affaire faite.

"

 

Au bivouac d'El Aroussa, lettre du 12 Mai 1851 à Madame de Saint Arnaud"

"

Je suis bien fatigué, mais bien portant et je puis t'écrire quelques lignes. J'ai eu une belle affaire. Nous avons enlevé avec une grande vigueur des positions très fortes, défendues par quatre à cinq mille Kabyles. Les troupes et les officiers ont été admirables

...

Je viens d'accomplir un triste devoir: je sors de l'ambulance où j'ai été visiter, encourager mes braves blessés, officiers et soldats. J'ai sept officiers à l'ambulance et soixante-trois soldats. Les Kabyles ont perdu plus de trois cents des leurs. Ils avaiant promis de venir m'attaquer cette nuit et ils ne l'ont pas osé. Tout le monde a dormi tranquille.

Je fais séjour aujourd'hui pour reposer mes blessés et battre à mon aise les Kabyles qui sont dans les bois autour du camp, et qui essayeront de  défendre leurs maisons que je brûlerai. Les troupes sont pleines d'ardeur.

PS: mes colonnes viennent de partir, et de ma tente, en t'écrivant, je vois brûler les villages arabes. J'espère que la leçon sera bonne et leur profitera.

"

 

Lettre du 15 Mai 1851, du bivouac de Koumar, à son frère M Leroy de Saint Arnaud avocat à Paris

"

Cher frère, depuis que j'ai quitté Constantine, j'ai été bien occupé. Tu t'en es aperçu à mon silence. Voici une campagne comme je n'en ai point encore faite en Afrique, malgré mes quinze années de vie militante.

de Milah à Djidjelli, dont je ne suis plus séparé que par cinq lieues, j'ai trouvé les Kabyles en révolte et en armes. Partout, depuis le 11, et tous les jours j'ai eu  cinq mille fusils devant moi, derrière moi, sur mes flancs. J'ai un convoi de quinze cents têtes, et une colonne  tenant plus de deux lieues de longueur à cause des chemins étroits que je dois suivre. Je ne sais comment je n'ai point éprouvé quelqu'échec partiel. J'ai passé partout, brûlant les villages ennelis sur mon passage. les 11, 12, 13, 14 et 15, je me suis battu depuis cinq heures du matin jusqu'au soir. LE 11 j'enlevais les cols des Ouled Askar que les Kabyles avaient fortifiés et défendaient avec quatre mille fusils. Je ne suis arrivé à mon bivouac d'el Aroussa qu'à six heures du soir et mon arrière garde à neuf heures, toujours se battant. Le 12, je suis resté à Al Aroussa pour faire reposer mes troupes et répandre autour de moi la terreur. Le 13 a été une journée difficile. J'ai eu, dans les bois qu'il m'a fallu traverser, cinq mille Kabyles toute la journée sur les bras. Deux compagnies du 10e de ligne, régiment neuf, se sont laissés surprendre  par une charge de cinq à six cents Kabyles parvenus à se glisser autour d'elles: cinq officiers et quarante soldats ont payé cette faute de leur vie.

Le 9e, en dégageant les compagnies compromises, a tué plus de cent Kabyles: chance de guerre qui ne doit pas troubler un chef.

...

La pluis tombe à torrents; c'est un déluge. Cela ne me favorise pas pour la journée de demain, à cause de mes blessés. Je rentre à Djidjelli avec deux cents soixante-dix blessés et quatre vingt dix sept tués. Toutes ces pertes sont peu nombreuses pour cinq jours de combat, si l'on songe aux difficultés du pays, à la lourdeur de ma colonne, mais c'est beaucoup pour l'Afrique.

J'espère que demain je me battrai peu. Le pays est découvert; les Kabyles ne s'exposeront pas, et , si je puis passer les rivières, je serai à Djidejlli à trois heures.

Tu vois la valeur des opinions sur la prétendue promenade militaire que j'allais entreprendre. Vous irez à Djidjelli, me disait-on, en vous promenant le fusil sur l'épaule. Toute la rive gauche de l'Oued Sahel est en armes, la route de Bougie à Sétif interceptée, les Beni Seliman, que j'ai soumis il y a deux ans, sont révoltés. Bougie a été attaquée le 11.

...

Les gros intérêts sont à Bougie et Sétif, qu'il faut dégager et relier. La résistance que j'ai trouvée ici n'est que le reflet de la révolte de Djurdjura et de l'Ouad Sahal. Tout cela est grave, frère, et me voici en campagne pour longtemps.

...

"

 

 

Lettre à son frère, du bivouac de Dar El Guidjely, le 20 Mai 1851

"

...

Nous faisons une guerre sérieuse, la résistance est générale et bien organisée.

...

Hier, mon camp était entouré de Kabyles se tenant sur les hauteurs, à une lieue et demie. J'ai choisi les plus gros paquets, et avec teois colonnes sans sacs, de trois bataillons chacune, je les ai attaqués. Toutes les positions ont été enlevées à la baïonette. Ma cavalerie a fait un heureux mouvement. Elle s'est trouvée en face et à portée des Kabyles que nous rabattions dans la plaine. Beaucoup de fusils de prix ont été ramassés, ce qui prouve la valeur des pertes de l'ennemi.

...

6 heures du soir

Cher frère, encore un mot avant de fermer ma lettre. Je t'écrivais, ce matin, que je me réservais de traiter les contingents, comme les tribus: c'est une chose faite et bien faite.

Avec deux attaques d'infanterie en tête et sur la droite, j'ai amusé les Kabyles; puis massant ma cavalerie dans un pli de terrain, j'ai commencé la charge au signal d'un coup de canon. L'ennemi culbuté, acculé à un ravin, ne pouvait trouver d'issue que par la plaine, où la cavalerie le sabrait sans pitié. Plus de trois cents ennemis ont mordu la poussière, et je n'ai cette fois que deux ou trois tués et quelques blessés. ç'a été une brillante affaire. Elle a déjà porté ses fruits. Les Beni Amram, les Beni Ahmet, sont à mon camp encombré d'armes ramassées sur le champ d bataille.

"

 

Lettre à M de Forcade, au bivouac de ..., le 25 Mai 1851

"

Cher frère, au moment où tu m'écrivais ta lettre du 11 mai, j'entrais dans les montagnes de la Kabylie. Les journaux te raconteront les détails de mon expédition, une des plus rudes et des plus belles qui aient été entreprises en Afrique...Depuis le col franchi le 11, jusqu'à Djidjelli où je suis arrivé le 16, je me suis battu presque tous les jours, de cinq heures du matin jusqu'à sept heures du soir; j'ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés. Nous avons passé le 14, non loin du lieu où l'armée du Bey Osman avait été complètement détruite en 1804. Les Kabyles avaient annoncé qu'ils feraient subir le même désastre à ma colonne. J'ai passé le fer à la main. J'ai fait reposer ma colonne à Djidjelli le 17 et le 18, et je suis reparti le 19, pour soumettre les tribus au sud de la ville. J'ai été m'établir au milieu des Beni Amram, la plus grande tribu du cercle. Mon bivouac était entouré de tous les contingents du pays. Le 19, j'aipoursuivi les Kabyles pendant deux lieus, en leur tuant cent vingt hommes, mais la journée du lendemain devait leur coûter bien plus cher. en effet, le lendemain 20, j'ai pu livrer une vraie petite bataille. Les Kabyles, au nombre d'environ deux mille, avaient fait la faute de s'entasser sur une longue crête boisée, défendue à guche par un ravin profond et à droite par une plaine accidentée, qui permettait de tourner la positionet d'arriver par derrière jusqu'au ravin de gauche. D'un coup d'oeil j'ai vu la faute et de suite j'en ai profité. J'ai ordonné au général Bosquet d'amuser avant l'ennemi par une fusillade, et d'attendre mon signal pour charger. Puis j'ai envoyé dans le ravin le bataillon de tirailleurs indigènes. Toute la cavalerie, soutenue par le bataillon de chasseurs à pied, était massée à l'entrée de la plaine, derrière un pli de terrain. Au signal d'un coup de canon, toutes les troupes se sont élancées au pas de charge. La cavalerie a été couper la retraite aux Kabyles à plus de deux kilomètres, et les a rejetés dans un ravin et sur les baïonettes des zouaves. Alors ce n'a plus été qu'une déroute et un massacre. Quatre cent trente et un Kabyles comptés sont restés sur le terrain. On  a rapporté au camp cent cinquante fusils, quatre-vingt dix yatagans, des centaines de burnous. Depuis ce jour, la grosse guerre est finie près de Djidjelli. Les Beni Amran, les Beni Ahmed et toutes les tribus du sud de Djidjelli se sont soumises. Dans les combats du 19 et du 20, je n'ai eu que trois hommes tués et trente-cinq blessés.

J'attaque maintenant et je soumets les Beni Foughal et les tribus à l'Ouest de Ddjidjelli, puis je repartirai pour l'est en marchant sur Collo.

...

"

 

Lettre à Madame de Saint Arnaud, du bivouac de ...., le 25 Mai 1851

"

...

Gérard (note1: il s'agit du Chasseur de Lions) , Androclès, comme l'appelle Fleury, te remettra fusil, yatagan et cartouchière, qui ont le mérite d'avoir été arrachés à des ennemis qui les défendaient

...

"

 

Lettre à son frère, écrite au bivouac, sur l'Oued Bou Kchaïd, le 6 juin 1851

"

...

comme je te l'écrivais rapidement le 2 juin, je  n'ai plus eu de coups de fusil depuis le 27 Mai. Les Beni Foughal ont effrayé et entrainé dans leur soumission les tribus plus faibles en redescendant vers Djidjelli. Ce qui restait encore d'insoumis dans la partie ouest la plus considérable s'est résolu à la soumission. L'autre partie, qui devait venir à Djidjelli, a suivi la méthose arabe; voyant le danger passé avec ma colonne, ils ne parlent plus de se soumettre. J'y retourne, ce sera l'affaire de huit jours.

"

 

Lettre à Madame de Saint Arnaud, écrite au bivouac, sur l'Oued  Menchar, le 18 juin 1851

"

...

Bou-Akkas est venu me voir à Djidjelli. C'est un homme habile, plein de tact et de finesse, que je crois sincère et qui m'a bien servi. Il va à la mecque faire son pélerinage.

"

 

 

Les lettres dont j'ai reproduit des extraits ici se trouvent de la page 315 à 337.

Vous trouverez de plus en fin du livre, de la page 507 à 523, un appendice reprenant les principaux passages extraits des rapports du général Randon au sujet de l'expédition de Kabylie - cet appendice fournit une rédumé rapide de la campagne.

Références

Lettres du Maréchal de Saint Arnaud, tome second

Michel Levy Frères, Paris, 1855

Un original de ce livre est disponible à la bibliothèque cantonale de l'Université de Lausanne. Une version numérisée de ce livre est téléchargeable ici.

 

(le tome premier de ces lettres est téléchargeable ici.)