Conquête des Babors (3) : zoom sur le rituel militaire

La soumission des Babors puis plus tard celle de la grande Kabylie furent très tardives: lorsque Randon, Mac Mahon et Bosquet entreprirent de marcher vers ces régions, les 'procédures' de soumission des tribus  étaient déjà bien rodées...

 

Suite à la défaite au combat,  les chef de tribu ayant demandé l'aman participaient à une cérémonie militaire d'investiture des chefs de tribu, dont le protocole était le suivant:

     - Le gouverneur général  prononçait un discours à l'attention des vaincus
    - chaque chef de tribu devait faire acte de soumission et jurer fidélité à la France. Chacun se voyait alors remettre un burnous rouge, symbole de la fonction.

 

Voilà comment cela se passa dans les Babors: La campagne de soumission se déroula en deux étapes. Suite à la première phase, un grand nombre de tribus ayant demandé l'aman, une première cérémonie militaire eut lieu.

 

Tribus soumises par la Division Bosquet: Djermouna; Rahenen; Beni Tizzi; Beni Melloul; Beni Bouaïssi; Aït Ouared ou Ali;Beni Mohammed; Beni Hussein; ... Randon dit plus globalement 'toutes les populations comprises entre la route de Bougie à Sétif et la rive gauche de l'Oued Agrioun firent successivement acte de soumission', en terminant par les Beni Ismaël.

 

Tribus soumises par la divison Mac Mahon: tribus situées sur la rive droite de l'Oued Agrioun. Ensuite, quand cette division est arriva sur l'Oued Berd, les El Manncher et de quelques fractions de tribus du versant méridionnal des montagnes de la rive droite vinrent faire soumission. Les autres tribus ne se présentèrent pas, et les combats furent opiniâtres. Suite à ces combats, soumission des Beni Mouchar, Beni Menalla, Beni Draïns, Beni Salah, Beni Felkaï, Ighzer ou f 'tis, Beni Meraï, Aït Alig, Beni Bou Youssef (liste non exhaustive).

Les deux divisions convergèrent alors vers l'Etnin des Beni Hussein, où se tint une cérémonie d'investiture le 5 juin 1853.

 

Je vous fournis ici la description de cette cérémonie de remise de burnous selon les récits de Randon, Bosquet et Cler, ce qui permet de brosser le tableau par petites touches - et ce qui montre aussi le positionnement différent de chacun des auteurs:

 

Randon:

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C'est dans ce camp qu'eut lieu, le 5 Juin, la cérémonie d'investiture des chefs kabyles.
De bonne heure, une partie des troupes prit les armes et forma un carré autour de la tente du gouverneur. Dans l'intérieur se rangèrent, en demi-cercle, les kabyles choisis pour être les dépositaires de l'autorité française, derrière eux étaient les otages et  une foule d'autres montagnards, venus au camp pour payer l'impôt et accompagner leurs chefs.
...
***discours de Randon***
...
Après cette allocution, chaque chef, revêtu d'un burnous rouge, insigne du commandement, prononça le serment de fidélité à la France, non sans laisser percer sur ses traits, ordinairement impassibles, quelques traits de l'émotion qui le dominait.
La soumission des Babors était désormais un fait accompli.

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Bosquet

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Lorsque les deux divisions du corps d'armée ont été réunies vers l'embouchure de l'Oued Aguerioun, la conquête de cette protion de kabylie étant finie, les chefs montagnards soumis et assemblés au bivouac, il a été question de nommer des nouveaux chefs dans toutes les tribus et de donner à chacun d'eux le burnous rouge de commandement; - c'est tout simplement la pourpre romaine, un souvenir des temps anciens qui se continue en Afrique.
...
Le général en chef, ayant à ses côtés les commandants des deux divisions, a prononcé quelques fermes paroles, répétées par un interpête, et puis, au son des fanfares, il a fait passer un burnous a une quarantaine de cheikhs, qui venaient, chacun à son tour, prêter serment et baiser la main armée de l'épée de la France.
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Cler

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Le 5 juin, le gouverneur général appela à son bivouac de Sidi Etnin une partie des populations récemment soumises pour les faire assister à la remise des burnous d'investiture de leurs chefs. Au centre d'un grand carré de troupes étaient réunis 5 ou 600 kabyles à la figure sauvage, aux vêtements sales et sordides, qui venaient en toute confiance, quelques jours seulement après avoir essuyé les ravages de la guerre, reconnaître  la puissance de la France sous les baïonnettes qui les avaient décimés la veille. Le général Randon, arpès leur avoir fair comprendre les volontés de la mère-patrie, les avantages qu'ils trouveraient à suivre les conseils qui leur seraient donnés par les officiers chargés des bureaux arabes et ceux qu'ils retireraient en vivant en paix avec leurs voisins, distribua une quarantaine de burnous rouges à leurs anciens chefs, maintenus à la tête de leur administration. Chaque chef ou caïd vint recevoir des mains des spahis le burnous qui lui était immédiatement jeté sur les épaules; il baisait ensuite la main du gouverneur, recevait son brevet et reprenait sa place devant les représentants de sa tribu.
Faite avec une pompte toute militaire, annoncée et terminée par des bans et des salves d'artillerie, cette cérémonie imposante impressionna les nouveaux chefs. Cependant leurs figures froides et impassibles ne trahirent rien de leurs émotions.
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Ce jour là, ce furent en tout entre 40 et 45 tribus qui firent acte de soumission.

Les Beni Foughal ne font pas partie des tribus concernées par les textes ci-dessus: les deux divisions ont traversé leur territoire dans la 2e étape, donc peu après la cérémonie de soumission que je viens de vous présenter.
Il est probable que des fractions des Beni Foughal se soient (re)soumises lors de cette deuxième étape, en même temps que des fractions des Beni Amran et Beni Afer: en effet les combats qui avaient eu lieu en 1851 n'avaient pas stabilisé la situation. C'est pourquoi les Divisions Bosquet et Mac Mahon traversèrent toutes deux de part et d'autre le territoire des Beni Foughal afin, comme le dit Randon, de 'laisser l'impression morale du passage de nos bataillons'. Quelques jours après, des chefs de tribu qui avaient déjà combattu Bosquet en 1851 se présentèrent à nouveau à lui en juin 1853, accompagnés du cheikh Bou Akkas Ben Achour, pour faire acte de soumission définitive. Une deuxième cérémonie de remise de burnous eut lieu à Tibaïren, fin juin 1853.

 

Références
Les trois livres ont déjà été cités dans des articles précédents, ils figurent dans la liste bibliographique du blog.