La forêt des Beni Foughal, une ressource convoitée
Les articles publiés par Charles Féraud dans la revue africaine (ici, ici et ici) nous ont permis de voir l'importance de la forêt des Beni Foughal pour l'approvisionnement en bois de la marine turque, et ce jusqu'en 1830.
Mais cette forêt fut aussi très tôt identifiée par la France comme étant très intéressante à exploiter.
Il suffit d'ailleurs de combiner des mots-clefs du type 'forêt - algérie- kabylie- foughal- bois - mansouriah' pour trouver dans Google Books beaucoup de textes indiquant que 'cette forêt sera
une ressource importante pour la colonie'.
Je vous propose aujourd'hui un document très complet datant de 1854, qui montre très bien cet intérêt: il s'intéresse aux richesses forestières de l'Algérie du point de vue des constructions navales.
L'auteur, Victor Legrand, recense dans ce livre les forêts à exploiter dans la nouvelle colonie, puis il situe le contexte géographique dans lequel se trouvent les gisements, et aborde même la problématique de construction de routes pour permettre l'acheminement des pièces de bois .
Les forêts sont catégorisées selon trois niveaux d'importance: la forêt des Beni Foughal fait partie des trois forêts prioritaires, à exploiter dès que possible (avec
la forêt de l'Edough et la forêt des Beni Salah), car capables de fournir à la Marine des troncs très longs et très robustes.
De plus l'auteur pense aussi à tirer profit du bois moins noble, puisqu'il envisage aussi d'utiliser 'le bois de charbon' pour permettre la préparation du fer des mines de fer olégiste du Djebel
Heddid...Par contre, étonamment, il ne paraît pas envisager l'exploitation de chêne liège.
L'intérêt porté à ces forêts paraît d'autant plus important que les trois zones concernées sont des zones 'instables' sur lesquelles la domination française a eu
beaucoup de difficultés à s'imposer:
- la forêt de l'Edough est sur une zone 'pacifiée' depuis quelques années seulement,
- la forêt des Beni Salah est située sur une zone évacuée: l'auteur indique que suite à une révolte en 1852 la zone a été vidée de ses habitants,
- la forêt des Beni Foughal est située sur une zone réfractaire qui ne s'est soumise que très peu de temps auparavant: dans le livre, la lettre de couverture que l'auteur adresse à son ministre est
datée du 18 septembre 1853. Or nous avons vu que la soumission des Beni Foughal a eu lieu en juin 1853. On peut donc imaginer que les reconnaissances dans la forêt pour en évaluer l'intérêt ont du
commencer immédiatement après: autant dire que les experts ne se sont pas fait attendre!
Cette remarque est valable aussi pour la forêt de Taza (tribus Beni Aïssa et Beni Aetiz), les forêts des Beni Zoundaï et Beni Medjeled qui sont citées dans le livre, puisque ces tribus firent elles
aussi leur soumission en juin 1853.
Je vous conseille donc vivement la lecture de ce livre de 110 pages, disponible sur le site Google Books: vous pouvez le lire et le télécharger ici.
Et pour ceux qui veulent aller rapidement à l'essentiel ou qui veulent survoler le texte, j'ai regroupé les passages principaux dans le document suivant:
Remarque 1: lors des articles consacrés à la conquête des Babors j'avais indiqué que la 2e cérémonie de soumission avait eu lieu 'fin juin
1853'; j'ai maintenant trouvé un article qui en fournit la date exacte: il s'agit du 29
juin 1853.
=> Ceci nous indique donc que le rapport de Victor Legrand était finalisé deux mois et demi seulement après la première traversée du territoire effectuée par l'armée du Général Randon.
Remarque 2: L'exploitation des forêts ne fut pas effectuée partout de façon raisonnée: j'ai trouvé un texte sur la Kabylie écrit par Manuel Bugéja en 1933 dans lequel on trouve le passage suivant:
"
la faune, qui en kabylie, a compté le lion et la panthère, ne possède plus que de rares panthères et peu à peu, ces dernières disparaissent. Il y a 40 ans, j'en ai rencontrées deux à l'Oued Marsa
alors que la forêt d'Acherit existait. Depuis, elle a été remplacée par un vaste vignoble.
"
La forêt de Beni Foughal ne semble pas avoir été particulièrement décimée par une exploitation par trop intensive - mais on remarquera que la tribu avait pu garder en le contrôle sur une très grande
étendue.
=> Si certains lecteurs peuvent m'apporter des informations sur l'exploitation du bois dans les concessions faites aux colons en forêt de Beni Foughal, je suis preneuse...
Remarque 3: la gestion des forêts s'est avérée beaucoup plus difficile que prévu pour les français.
J'ai trouvé à la BNF des documents montrant que ceux qui s'étaient vu attribuer des concessions dans la forêt de Beni Foughal eurent beaucoup de difficultés à exploiter la forêt comme arrivaient à le
faire les Beni Foughal sur la partie de la forêt qu'ils avaient conservée. Il faut dire les tribus avaient une connaissance fine de leurs forêts, et certains hommes de la tribu étaient destinés à la
gestion de la forêt: dans certaines familles, de génération en génération, était effectuée une transmission du savoir-faire et des connaissances relatives aux arbres de la région.
Quant aux premiers français concessionaires, les créanciers se retournèrent contre eux, et cela généra un certain nombre de procès dont on retrouve des traces. Là encore j'essayerai de creuser le
sujet quand j'aurai plus de temps, pour essayer de savoir comment ces situations se dénouèrent.
Remarque 4: pour répondre à des remarques/mails reçus lors de la mise en ligne des 3 volets de la 'saga karasta', voici quelques liens divers qui pourront vous intéresser:
- informations sur la sitelle kabyle, petit oiseau endémique de la région que l'on retrouve uniquement au Mont Babor, dans la forêt de Guerrouch, la forêt de Tamentout et la forêt de Djimla.
- un lien vers la fiche signalétique du chêne Zen; où il apparaît que celui-ci s'appelle 'quercus canariensis' et non pas quercus 'castaneifolia' comme indiqué par Féraud. J'avais de plus trouvé aussi le nom 'quercus faginea' dans une recherche précédente...apparemment il semblerait que ces trois chênes soient présents dans la région... les trois étaient-ils exploités indifféremment? ou bien est-il aisé de les confondre? j'avoue que je commence à m'y perdre!
Remarque 5: Juste après avoir finalisé cet article, j'ai vu que Zoundaî venait lui aussi d'éditer un article sur le même sujet! Vous pouvez retrouver son article ici.
Références
Document principal de référence de cet article:
Victor Legrand
Mémoire sur les richesses forestières de l'Algérie considérées au point de vue des constructions navales
Imprimerie administrative Paul Dupont, Paris, 1954
Original du livre à l'Université de Harvard
Téléchargement / consultation du livre : ici
Document dans lequel j'ai finalement trouvé la date de soumission:
A. Fouquier / C.L. Lesur
Annuaire Historique et universel pour l'année 1853
Lebrun et Compagnie, libraires, Paris, 1855
Original du livre à l'Université du Michigan
(attention il ne s'agit pas de la même édition que celle citée dans cet article)
Téléchargement / consultation du livre : ici
Document sur la Kabylie rédigé par Manuel Bugéja:
Manuel Bugéja
Tourisme en Kabylie
Société Géographique d'Alger et d'Afrique du Nord
38e année, 2e trimestre 1933, n°134
Cote: MICROFILM M 4238, Bibliothèque Nationale de France
Mots-clef supplémentaires: chêne zen; chêne liège; chêne vert; chêne blanc; chêne zan; chêne zeen;
micocoulier; azerolier; caroubier; olivier; noyer; orme; cèdre; genévrier; pin d'alep; thuya; frêne; orme; aune; peuplier; saule; Edough; djebel Edough; cap de Garde; cap de Fer; lac Fetzara;
Bou Zizi; Bone; Philippeville; Skikda; Annaba; mine de fer du mont Belelita; bou Hamra ; Beni Salah; Kaf El Meida; la Calle; Fedj El foul; Taffer; col de Gueria; Schabia; Djebel Meida; Djidjelli;
Djidjelly; Jijel; Merdj Adb Allah; Merdj Abdallah; mine de fer de djebel Haddid; Beni Four'al; Ouad Taza; Oued Taza; plage de Taza; Beni Aetiz; Beni aïssa; Ouled Aïssa; Beni Zoundaï; Beni Medjeled;
Beni Medjales; Oued Missia; Ouad Missia; Oued el Oueissa; Tebessa; Ouled Beschia; Oued Djendjen; Ouad Djinddjen; Bejaia; Bougie; karasta; bois de marine