Les armes du Bachagha Mokrani

Voici ici un (très petit) livre édité en 1925: vous y trouverez la description détaillée des armes du Bachagha Mohamed Ben El Hadj El Mokrani.

 

Je pense que le parcours de ces armes, passées du champ de bataille à la vitrine d'un collectionneur puis transformées un temps en armes d'opérette, ne vous laissera pas indifférents...

 

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LES « ARMES DU BACHAGHA » MOHAMED BEN EL HADJ EL MOKRANI
A Maitrot
Extrait du recueil des Notices et Mémoires de la Société archéologique historique et géographique de Constantine
Année 1924-1925

Un jour, en 1872, M Bigonnet, l’éminent collectionneur, passait devant la porte du fort de Bordj Bou Arréridj, où était provisoirement installé le Bureau arabe. En face de cette porte se trouvait, à l’état de ruine, la maison actuelle de M Daniel Bohadjar. Les Indigènes, convoqués par l’Hackem, avaient pris l’habitude de parquer leurs montures dans ces ruines. Sous la selle d’un animal entravé, M. Bigonnet aperçut un fourreau d’acier, tordu, rouillé, en piteux état, mais la forme française de cette arme attira son attention. Il s’approcha et trouva un sabre de dessin turc, venant de chez Devisme, à Paris, et portant l’inscription arabe : « Si Mohammed ben el Hadj Ahmed el Mokrani, bachaga de la Medjana ».
M Bigonnet se rendit chez son ami, le Capitaine Melix, Chef du Bureau arabe et  lui demanda de lui réserver ce sabre, lorsqu’il viendrait dans le lot des armes enlevées aux indigènes. Le Capitaine répondit qu’il ne pouvait le faire, car tout lot devait aller à Constantine et il lui était impossible de rien en distraire. C’était une fin de recevoir d’un collectionneur qui avait la force de son côté. M. Bigonnet s’inclina ; mais tenace, il attendit et trente ans plus tard, il acheta le sabre à la veuve du Capitaine Melix.
Ce sabre de 98 centimètre de longueur, est monté avec une lame de cavalerie légère du Premier Empire, comme forme générale ; mais les arêtes vives du talon sont abattues et la gorge est à peine sensible.
La poignée a la forme turque et l’ensemble de l’arme ressemble assez à un sabre de mameluck. La poignée, de 12 centimètres de longueur, se compose de trois parties. Sur une lame d’acier damasquinée et finement ciselée sur son épaisseur et formant soie, sont appliquées deux plaquettes de corne réunies par une vis médiane à deux rosettes d’argent en losange. La croisière, de 15 centimètres de longueur, a la forme d’un losange irrégulier, dont l’axe horizontal serait étiré au double de l’axe vertical, lequel ne mesure que 7 centimètres. Cette croisière en acier est encastrée à sa partie supérieure dans la corne ; dans sa partie inférieure, elle est libre et vient recouvrir le haut du fourreau. L’acier est damasquiné et creusé en relief plat. Ce sont des enroulements Louis XV mitigés d’un peu de Louis XVI. Chaque extrémité de la croisière se termine par une petite boule portant une étoile et quatre fleurons, lacés dans les entrepointes de l’étoile qui forme calotte.
La lame, de 3 centimètres de largeur, porte sur une longueur de 35 centimètres, un évidement dans lequel se détachent, en relief plat et de niveau, les mots

Si Mohammed ben Si el Hadj Ahmed El Mokrani, bachagha de la Medjana

Cette inscription, très finement travaillée, est assez incorrecte comme écriture. Les 

au lieu d’être soit au-dessous, soit au-dessus de la ligne sont coupés au milieu

 .

La boucle supérieure du

est arrondie, on dirait un T majuscule français.

Le

d’Ahmed

ressemble à un

et ferait Ammed.
Le mot bachaga est presque incompréhensible ; on lit facilement b (sans point) ach-gha ; il manque l’alif de agha. Mais, en revanche, il y a à la fin du mot bach, un chine de haute fantaisie et à la fin d’agha, un signe bizarre qui doit être un tamarbouta complètement inutile, d’ailleurs.
Toutes des petites erreurs et omissions, en dehors de la marque Devismes Paris sur le talon, indiqueraient que l’arme a été faite en France.
On prétend, sans rien que d’autre part le démontre, que ce sabre fut offert par l’empereur Napoléon III au bachagha Mokrani.
Le fourreau, complètement hors de service, a disparu ; c’était simplement un fourreau réglementaire de la cavalerie légère.
M. Bigonnet possède également deux pistolets dans leur étui, ayant appartenu au même chef indigène. Ils furent achetés à un Arabe, absolument par hasard.
Les pistolets à un coup et à pierre sont du calibre 16 et mesurent 52 centimètres de longueur totale. Les canons, sur une longueur de 16 centimètres, sont recouverts de vermeil repoussé. La crosse a un pommeau également en vermeil et assez massif ; le bois est incrusté d’argent et les aciers du chien sont damasquinés ; la sous-garde est en vermeil.
Les deux pistolets sont assemblés dans un étui, genre arabe, en filali rouge, brodé d’or, de 22 centimètres de hauteur et de 22 centimètres de largeur en haut sur 15 en bas. La broderie semble être du travail de M’sila ; le style des ornements des pistolets et de l’étui est du Louis XV à peu près pur, à peine nuancé d’Arabe.
Ces armes sont bien connues, sinon de beaucoup de Français, au moins nombre  de Parisiens qui, il y a tente ans, les ont vues, sans se douter de leur valeur historique. M Pierre Decourcelle, après avoir écrit « l’Autre France », par une coquetterie d’artiste, demanda à M. Bigonnet de lui prêter ces armes, au moins la première, à l’acteur qui représenterait le Bachaga et cet acteur parada sur les planches avec le Harnois du mort de l’Oued Souffla1t (5 Mai 1871).
Comme j’ai la mauvaise habitude de ne rien affirmer qui ne puisse être contrôlé, je reproduis, à dessin, le reçu de M. Decourcelle :
« 14, rue Jean Goujon
Reçu en dépôt, de M. Bigonnet, le sabre et les deux pistolets du Bachaga Mokrani, pour servir dans la pièce ‘l’Autre France’ qui doit se jouer à l’Ambigu, dans le courant du présent mois.
Paris, le 7 Décembre 1900.
Pierre Decourcelle. . »
Il existe, paraît-il, une autre paire de pistolets montés en argent et donnés au Bachaga par le Prince Impérial. Ils furent offerts, un jour, au Caïd Seddick ben Halla, de la Medjana, qui ne les acheta pas. Ils sont aujourd’hui introuvables, à ma connaissance du moins.


A. MAITROT DE LA MOTTE-CAPRON.

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Les armes du Bachagha Mokrani
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Nota: j'ai retranscrit le texte à l'identique, y compris les fautes de frappe d'origine. Donc selon les passages, vous pourrez trouver des Mohamed/Mohammed, bachaga/bachagha, dessin/dessein: à vous de faire le tri.

Références
Les "armes du Bachaga" Mohamed Ben El Hadj Ahmed El Mokrani,
A. Maitrot
Extrait du recueil des notices et mémoires de la Siociété archéologique historique et géographique de Constantine
Année 1924-1925
Constantine, Veuve D. Braham, 1925
Cote 8-V PIECE-25954, Bibliothèque Nationale de France